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Agriculture urbaine : mode ou mouvement de fond ?

Pour de nombreux observateurs, l'agriculture urbaine n'est pas un phénomène de mode mais un mouvement de fond, qui invite à changer de regard sur la gestion de l'espace urbain et la place du végétal en ville, comme ici, sur le toit de la Cité de la mode, à Paris.PHOTO : PASCAL FAYOLLE

Congrès, salons, publications : nous n'avons jamais autant parlé d'agriculture urbaine ou, devrions-nous dire, d'agricultures urbaines, tant les projets qui fleurissent diffèrent par leur philosophie, configuration technique et modèle économique. Tentons de faire le point...

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Dans un contexte de prise de conscience écologique et d'urbanisation croissante, rapprocher la production alimentaire des lieux de consommation fait sens. Associant alimentation saine de proximité, lien social, solidarité et écologie, l'agriculture urbaine apparaît comme une des réponses aux enjeux de territoire auxquels la concentration urbaine fait face : environnementaux (qualité de l'air, de l'eau, îlots de chaleur, pollution sonore, gestion des déchets et des eaux usées...), amélioration du cadre de vie et requalification de friches urbaines, logistique (approvisionnement et mobilité), renforcement de la cohésion sociale par des projets collaboratifs, éducatifs et solidaires, alimentation et santé publique. Pour de nombreux observateurs, il ne s'agit pas d'un phénomène de mode mais d'un mouvement de fond, qui invite à changer de regard sur la gestion de l'espace urbain et la place du végétal en ville. L'agriculture urbaine aurait ainsi une vocation multifonctionnelle contribuant à des villes « résilientes » où il fait bon vivre.

Une mosaïque de projets

Les nombreux projets diffèrent par leurs initiateurs (collectifs citoyens, collectivités, entreprises), leur technologie (jardinage en pleine terre, hors-sol sur les bâtiments, production indoor,...) et leur modèle économique (sans but lucratif, investissement vitrine, projet marchand...). Nous distinguerons ici cinq types de modèles.

Le premier est le jardinage individuel des particuliers sur balcons et terrasses. L'intérêt pour le vivrier se traduit par des offres nouvelles de jardins en sacs ou bacs, souvent accompagnés d'un service de conception, mise en place et entretien (Nature et potager en ville, Topager,...).

Second modèle, les jardins collectifs se développent au niveau de quartiers ou d'entreprises. Les initiatives citoyennes visent à se réapproprier l'espace public urbain pour mettre en place des jardins permettant aux habitants de partager une activité conviviale et des produits frais. Ces initiatives se distinguent par leurs valeurs collaboratives, écologiques et solidaires. Elles associent souvent un objectif d'insertion, d'éducation à la nature et de solidarité, en fournissant des fruits et légumes à des publics fragiles. La présence de poulaillers et de ruches, l'usage de matériaux recyclés, de déchets urbains, l'intérêt pour les variétés anciennes témoignent de l'engagement vers l'économie circulaire et la biodiversité. Réalisés sans gros investissements, ces jardins s'orientent parfois vers le hors-sol face au manque de terrains, mais aussi aux problèmes de sols pollués. Plus militant, le « guérilla gardening » ou les « incredible edibles » débordent des espaces dédiés pour semer et planter tout l'espace urbain disponible. Ces mouvements sont de plus en plus soutenus par les collectivités, sous la forme d'aménagement de sites dédiés, de subvention aux associations, don de graines, prêt de matériel (composteurs, abris de rangement), mais aussi de personnel pour l'entretien, la formation et l'animation d'ateliers pédagogiques. La mairie de Paris délivre ainsi des « permis de jardiner » sur l'espace public. Internet joue un rôle important dans l'animation de ces communautés, mais aussi l'offre de services individuels : plusieurs start-up développent des plates-formes mettant en relation les jardiniers entre eux, proposant des conseils, voire des souscriptions à un jardin virtuel réalisé par un producteur péri-urbain (monpotager.com).

Certaines entreprises mettent également en place des jardins collectifs pour leurs salariés, parfois accompagnés de contrats d'entretien avec des paysagistes, ainsi que d'actions de formation et d'animation.

Une viabilité économique qui reste à trouver

Les configurations high-tech, troisième modèle d'agriculture urbaine, constituent une réponse technologique au besoin d'optimisation de l'espace, de production annuelle à faible usage d'intrants chimiques. Initiées par des investisseurs privés, elles associent production hors-sol (serres sur les toits ou verticales), système fermé facilitant la régulation du climat et la gestion des nuisibles, et pour certaines configurations indoor (bâtiments ou conteneurs), éclairage LED. Ces modèles requièrent un investissement important et des techniques de pointe en matière d'éclairage, d'arrosage, de substrats et de régulation climatique.

Viennent ensuite les micro-configurations, souvent portées par de jeunes entrepreneurs, avec des modules de production végétale pouvant associer l'élevage de poissons en aquaponie (Urban Farmers). Plusieurs initiatives existent à Paris (75) pour des productions de champignons (Upcycle) ou de fraises dans des conteneurs (Agricool). L'engagement écologique se traduit par l'utilisation de déchets urbains comme substrats, tels les marcs de café ou bien les drèches de brasserie. Il s'accompagne parfois d'un engagement sociétal, par l'emploi de personnes en réinsertion.

Enfin, les serres sur les toits ou serres verticales sont plutôt le fait de concepteurs, bureaux d'étude ou fabricants, avec des projets parfois futuristes (Paris 2050). New-York et Montréal se sont faits un nom avec les serres de Gotham, Lufa ou Bright farms, ainsi que Singapour avec une serre verticale de production de salades. Au Japon, des industriels adaptent des entrepôts pour la production éclairée de fraises ou salades, en réponse à la rareté du foncier et aux problèmes de contamination radioactive. En France, plusieurs projets de construction de serres sur les toits sont évoqués à Paris et Angers (49). La Florentaise teste une tour végétale modulaire, qui devrait arriver sur le marché d'ici deux ans. Liés au bâti, ces projets se heurtent à des limites réglementaires, mais aussi techniques, notamment résistance et étanchéité des bâtiments, gestion de l'eau et contraintes d'accès.

Tous ces pilotes n'ont pas encore fait la preuve de leur viabilité technico-économique. Ils imposent de cultiver des produits à forte valeur ajoutée, qui supportent mal le transport, comme des herbes aromatiques, des salades, des fraises, des pleurotes, commercialisés en circuits courts (paniers, cantines et/ou restaurateurs). Certains estiment leur seuil de rentabilité à un prix de vente de 5 €/kg, ce qui en fait un marché de niche pour un public à fort pouvoir d'achat.

Perspectives et opportunités pour les professionnels ?

La ville « résiliente », c'est-à-dire autonome au plan énergétique, alimentaire et de la valorisation de ses déchets, reste encore une utopie. On estime que la production sur l'ensemble des toits de Paris pourrait couvrir 10 % des besoins de la ville en fruits et légumes. De plus, on ne pourra pas nourrir les citadins qu'avec des fraises et des pleurotes. C'est pourquoi plusieurs responsables agricoles voient dans l'agriculture urbaine une opportunité pour les producteurs péri-urbains ou ruraux, en particulier pour les productions de pleine terre. Ils pensent aussi que reconnecter les urbains au vivant ne peut qu'améliorer leur perception de l'agriculture, voire constituer une pépinière de vocations pour de futures installations.

Si l'agglomération cultivée est surtout une cité potagère, elle ouvre des opportunités pour d'autres végétaux, qu'ils soient à vocation ornementale, écologique (biodiversité, protection des cultures, phytoépuration), pédagogiques ou encore thérapeutiques.

Le développement de l'agriculture urbaine génère un besoin de technologies, de solutions agronomiques et de végétaux adaptés aux cultures hors-sol, qui représente des opportunités de marché ou d'investissement pour les entreprises. Il s'accompagne d'un besoin d'accompagnement, pour ne pas décourager des publics souvent néophytes.

Pour ne pas rester en dehors de ce mouvement, les producteurs doivent raisonner « alliances » pour proposer des solutions globales, en s'associant à des offres et compétences complémentaires, en termes de matériel, d'intrants, de conseil mais également de commercialisation, avec des acteurs parfois éloignés de leurs cercles traditionnels. Cela suppose d'établir des ponts entre les acteurs publics, privés et associatifs. Le partenariat avec des communautés citoyennes impose par ailleurs de comprendre leurs attentes et de s'intégrer à leur esprit participatif. Les « médiateurs jardins » employés au sein de certains projets, sont de nature à créer ce lien avec la profession.

Marie-Françoise Petitjean

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